La belle inquiétude de la peinture

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Le Temps, Exposition jeudi 13 juillet 2010

Philippe Fretz, la belle inquiétude de la peinture

A Genève, le peintre fait le portrait de l’endroit où il travaille et de la vie qui va avec

Chaque fois qu’il s’installait dans un nouvel atelier, Picasso peignait un tableau de ce qu’il voyait par la fenêtre. Puis il s’en détournait pour ne s’occuper que de peinture, de l’intérieur, de ses objets, de ses modèles, du peu qu’est la vie du peintre en dehors de la peinture. Une fois, à la fin des années 1950, lorsqu’il exécutait sa série à partir des «Ménines» de Velasquez, il a représenté l’intérieur de son atelier comme s’il en faisait le tour.

Le Genevois Philippe Fretz, la quarantaine, a son atelier dans une usine désaffectée qu’il partage avec de nombreux artistes – il préside leur association. Même si ces artistes n’ont pas tous l’envergure d’un Picasso et même s’il est impossible de savoir ce qu’ils vont devenir, le mystère de l’atelier reste entier, ce qui s’y passe quelle qu’en soit l’importance, la vie qui l’entoure quelle qu’en soit la réussite, les amis, les amours, les enfants… Que devient-on quand on passe l’essentiel de son temps dans cet enclos? Que deviennent les autres? Où est le monde, le vrai monde?

Philippe Fretz présente à l’Espace Cheminée Nord, un lieu d’exposition associatif de l’usine Kugler où il travaille, huit grands tableaux qui figurent le bâtiment vu de huit points de vue différents, et qui sont peints dans un style épuré rappelant certaines gravures des usines utopistes du XIXe siècle. Il installe le bâtiment dans un paysage qui évoque les environs et certains lieux de son existence. Il fait surgir des détails en les projetant vers l’avant, à la manière des peintres du XIVe et du XVe siècle – l’intérieur d’une pièce, un personnage, une action. Il fait le compte de sa propre vie. Il fait le compte de la peinture.

Car, il le dit lui-même, il y a une relation entre le mystère de l’atelier et le mystère du crâne, une relation entre l’activité créatrice et la topographie du cerveau. Cette préoccupation traverse l’histoire de l’art occidental. Que se passe-t-il? Comment cela commence et comment cela s’arrête-t-il? Philippe Fretz n’est pas un peintre métaphysique qui assemble des images lointaines. Il y a dans ses tableaux une collision entre le visible éternisé par la peinture et ce qui doit disparaître, tous ces petits événements qui cherchent leur place dans le destin commun. Une disposition à se laisser aspirer par l’espace qu’il représente, à nous entraîner avec lui dans une réalité qui n’est autre que la réalité de l’art.

Philippe Fretz, «Kugler 360°». Espace Cheminée Nord, ex-usine Kugler, 4 bis, rue de la Truite, Genève. Rens.: 077 440 55 15 et www.chemineenord.ch.
De 15 à 19 h (finissage dimanche dès 11 h 30). Jusqu’au 18 juillet.